Au point où on en est

J'écris dans le noir pour ne pas me juger, ça veut dire: "J'ai coupé la lumière de l'écran et je tape sans regarder." Cela n'a aucun lien avec l'idée de faire l'amour dans le noir ou la lumière allumée. Cela n'a aucun lien avec de la peau noire. Cela n'a rien à voir avec la réalité du noir. J'écris dans la lumière, ça veut dire. J'écris comme ça vient. Je suis seule avec mon écriture et donc je suis remplie par elle. J'ai le chat de l'écrivain qui respire fort dans mon dos. Tellement beau. Mon dos. Mon chat. Mon mari m'a dit que j'avais pris des bras. Mon chef m'a souri ce matin, m'a souri à midi. Qu'il est doux.  Tout ce que je fais, je le fais pour quoi, Quand est-ce que ça va s'arrêter? Quand est-ce que ça s'arrête? Un homme à l'accent italien m'a demandé si on mettait les masques. Il a fait le geste. Le masque. Car c'était un italien. J'ai pleuré ce soir. De tristesse et de soulagement. Enfin être écoutée. Le souvenir du pont bombardé en 44. La victoire qui a suivi. J'avais déjà vu ce pont, j'étais passée dessus. L'organisateur avait dit: "Parfois on voit des gens qui descendent en rappel par les trous. Ils déposent les plaques métalliques et ils accrochent des cordes." Je me rappelle que je m'étais dit que ce n'était pas possible. C'était avant le suicide de Corine. Je ne pouvais pas le croire ni m'empêcher de me dire que le type devait délirer un peu. Et pourtant. Il y a deux semaines, je les ai vus, les types, descendre en rappel. Il y avait même un groupe de girl scouts, qui faisaient ça. Quoi d'autre? Etre idôlatrée par une floppée de gars  tous plus respectueux les uns que les autres. Sauf un. L'alibi connard. La caution connard. Qui oublie son téléphone sur mon bureau et se barre avec ses oreillettes accrochées aux lourdes.